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Gisela Pankow est née à Düsseldorf (Allemagne) en février 1914, a passé son enfance et sa jeunesse à Berlin, et s’est installée à Paris en 1956. Elle a adopté la France et acquis la nationalité française en 1966.
Elle était issue d’un milieu d’enseignants, libéral, de tradition démocratique (ses parents ont tous deux été membres de La Ligue des Droits de l’Homme). Elle termine ses études secondaires, plutôt brillantes, en 1933, et se destine à des études médicales.
Mais la montée du nazisme va contrarier cette vocation : son père, opposant notoire au régime nazi et à l’avènement d’Hitler au pouvoir, est déchu de son poste d’enseignant.
La vie de la famille devient difficile. Les études médicales sont trop longues, et d’ailleurs marquées d’exigence de pensée « politiquement correcte ». Gisela s’oriente vers les mathématiques et la physique, (plus géographie et philosophie) sciences plus « neutres » politiquement parlant.
Elle acquiert ses diplômes à l’Université de Berlin sans difficulté, et peut commencer rapidement à gagner sa vie, bien que la voie de l’enseignement lui soit barrée du fait de ses opinions et de l’engagement politique de sa famille, qu’elle partage.
C’est seulement dans le privé, en 1939, qu’elle trouve un poste d’enseignante, en Silésie et pour un an. La période de la guerre est une période d’épreuves douloureuses pour la famille Pankow.
En 1943, son père, hospitalisé pour une affection banale, mourra dans des conditions suspectes... comme bien d’autres opposants au régime hitlérien dans des circonstances semblables. Gisela est revenue à Berlin, et travaille comme chercheuse dans le domaine statistique, pour l’industrie.
Fin 1943, elle part à Tübingen où elle a obtenu un poste d’assistante à l’Institut de Physique de cette ville. Et, parallèlement, elle réussit à intégrer un cursus d’études médicales...
Sa vocation, tenace, est menacée de nouveau en 1945, à la fin de la guerre, par le retour massif des combattants démobilisés et des prisonniers, prioritaires aux inscriptions : le numerus clausus est aussi un bon prétexte pour éliminer cette étudiante aux idées libérales.
Théodore Heuss, Ministre régional aux Affaires Culturelles sous l’autorité des forces d’occupation, avait été un grand ami du père de Gisela, et comme lui opposant au régime nazi. Son intervention directe finira par vaincre la mauvaise volonté administrative, sans doute teintée aussi de rancunes politiques. Gisela peut poursuivre son cursus...
On la retrouve en 1946 engagée dans des recherches morpho-endocrinologiques, sous la direction d’Ernst Kretschmer, directeur de l’hôpital universitaire neuro-psychiatrique de Tübingen, où il venait de retrouver son poste d’enseignant.
En 1949, elle est l’assistante très estimée de E.Kretschmer qui l’associe à ses publications (elle est élogieusement citée dans son ouvrage fondamental Körperbau und Charakter). Opposant à la « pensée unique », ce Maître lui léguera, entre autres, sa conviction d’une origine multifactorielle des psychoses, dont il fut l’un des premiers défenseurs, et du rôle du « terrain ». Sa typologie constitutionnelle se retrouve dans la clinique de G.Pankow, mais non au sens de facteur purement somatique : c’est aussi la marque d’un vécu et d’une histoire. Et elle gardera toujours la distinction kretschmérienne entre Kern-Psychose et Rand-Psychose (psychose nucléaire et psychose marginale) qui vont étayer sa théorie des deux fonctions de l’image du corps.
Gisela, d’autre part, est plongée dans une psychiatrie allemande fortement influencée, depuis la fin de la Première Guerre Mondiale, par les travaux de Karl Jaspers et la phénoménologie d’Edmond Husserl : la nosographie statique et causaliste d’Émile Kraepelin n’est plus de mise ! Ludwig Binswanger et la Daseinanalyse sont davantage en faveur. D’autre part, c’est en 1934 que Kurt Goldstein a fait paraître Der Aufbau des Organismus (La structure de l’organisme, trad. Fr. Gallimard 1951), ouvrage de base que Gisela, en 1959, prendra comme thème d’un article pour une revue américaine : « Dynamic structurization and Goldstein’s organismic approach », dans The American Journal of Psychoanalysis (XIX, 2,1959).
Enfin, à Tübingen toujours, c’est la rencontre de Gisela avec des penseurs et philosophes catholiques tels que Romano Guardini (théologien de réputation internationale) qui vient de reprendre son enseignement interdit par les nazis, et Gustav Siewerth, élève de Heidegger et de Husserl. La place du symbolisme, les liens entre langage, corps, espace, se retrouvent dans leurs œuvres. Il n’est pas impossible que ces rencontres aient eu leur rôle dans la conversion de Gisela au catholicisme dans les années 50. Elle gardera toujours des contacts avec les courants philosophiques phénoménologiques, sera membre de nombreuses sociétés, dont, en France, l’Association des amis de Gabriel Marcel, et se nouera d’amitié avec le Père Gaston Fessard, comme avec le Professeur Henri Maldiney.
Sa formation psychanalytique débute aussi à Tübingen, d’abord avec Luise Weizsäcker, membre du Deutsches Institut für Psychotherapeutische Forschung und Psychotherapie, puis, sans doute pour des problèmes d’ordre politique, avec la belle-sœur de cette analyste, Khäte Weisäcker-Hoss, d’orientation plus libérale. C’est aussi avec cette dernière qu’elle fera ses premières cures contrôlées. Son cursus se poursuivra à Paris par d’autres supervisions, avec Daniel Lagache, Françoise Dolto et Jacques Lacan, au sein de la Société Française de Psychanalyse. Mais c’est en Suisse, à Berne, qu’elle reprend son analyse avec Ernst Blum, élève direct de Freud, « Aktuar » de la Société Suisse de Psychanalyse, dont il a formé la plupart des membres. C’est un humaniste érudit, spécialiste de la philosophie existentielle husserlienne, qui suivra aussi en « contrôle » le travail clinique de Gisela, et son élaboration.
Les bases de la formation de Gisela Pankow étant posées, sciences exactes, médecine, psychiatrie, philosophie, et psychanalyse, comment va se décider et s’orienter sa carrière à partir de la France ? Certes, sa famille est francophile, et le français n’y est pas une langue « exotique ».
En fait, c’est la rencontre du Professeur Martiny, au premier Congrès Scientifique autorisé en zone occupée française, en 1950 à Tübingen, qui la fait inviter en France pour qu’elle présente ses travaux sur la biologie de la constitution à Royaumont (Semaine Internationale d’anthropologie différentielle), puis à Paris, au premier Congrès Mondial de Psychiatrie. Mais la deuxième Guerre Mondiale n’est pas si loin, et il n’est pas évident pour une jeune allemande de venir travailler en France : là encore l’amitié qui lie la famille Pankow à Theodor Heuss, devenu le premier Président de la jeune RFA, va se révéler efficace, et le Haut-Commissaire André-François Poncet sera un autre appui à sa demande.
Elle arrive donc à Paris en 1951, titulaire d’une bourse, pour poursuivre ses recherches en endocrino-morphologie dans le service du Professeur Jacques Decourt, à l’Hôpital de la Pitié, et comme assistante étrangère à la Faculté de Médecine de Paris. Elle y travaillera jusqu’en 1957.
En 1953, elle soutiendra avec succès une thèse de doctorat ès-Sciences à l’Université de Paris : Les rapports métriques entre la base du crâne et la partie supérieure de la face. Mais J.Decourt a connaissance de la formation psychanalytique de Gisela : dans son service d’endocrinologie, il lui confie en priorité des malades qui présentent des difficultés psychologiques ou des troubles mentaux. Les résultats sont encourageants. Et, en 1953, il met Gisela en relation avec le milieu psychanalytique de la SFP. Les dés sont jetés...
En 1955, elle participe au Congrès international de Psychothérapie à Zürich, et en 1956 paraît son premier ouvrage, Structuration dynamique dans la Schizophrénie. Contribution à une psychothérapie analytique de l’expérience psychotique du monde, préfacé par Juliette Favez-Boutonier (deux cas sur les six que comportera, sous le même titre, la version allemande publiée en 1957). Et elle anime, à la SPF, un séminaire sur la psychothérapie des psychoses. Et elle entretient une correspondance avec John Rosen depuis plus deux ans : « l’analyse directe » qui a inspiré les travaux du Burghölzli avec Eugen Bleuler attise sa curiosité. Elle étudie soigneusement le cas « Renée » de M.Sechehaye, et tout en en tirant certains concepts, en fera une critique pertinente. Mais à la SFP, et dans le milieu psychanalytique parisien, ses idées (et sa forte personnalité...) dérangent : la rupture va arriver assez vite, et Gisela démissionne de la SFP en 1959.
¡ Paris, elle n’enseignera plus que dans son séminaire privé, et dans le cadre hospitalo-unversitaire : à Saint-Antoine, dans le service du Pr. Alby (1957-1971), puis dans celui du Pr. Bourguignon (1971-1981), et à Sainte-Anne (Henri-Rousselle) dans le service du Dr. Jean Ayme (1981-1992) puis en collaboration avec Jean Oury, avec qui s’est établie une solide relation de travail depuis plusieurs années. Et elle poursuivra sa voie hors toute obédience institutionnelle psychanalytique, tout en restant affiliée à l’IPA du fait de son inscription à la DPV (Deutsche Psychoanalytische Vereinigung).
L’anglais lui est aussi familier que le français, et elle s’est tenue au courant des travaux des anglo-américains bien avant leurs traductions françaises. Gisela voyage : en 1956, elle donne des conférences à Melbourne, en Australie, part aux USA où elle retrouve le Dr. Martin Grotjahn ñ invité par la SFP en 1954 ñ travaille à Baltimore comme assistante de recherche. Elle est invitée par Frieda Fromm-Reichmann, qui l’encourage chaleureusement, et arrive à Philadelphie avec une chaude lettre de recommandation pour John Rosen, signée par Jacques Lacan ; elle assure un séminaire de trois mois à l’Université de Temple...
A l’occasion du Congrès annuel des Psychanalystes américains, elle a l’occasion de rencontrer Gregory Bateson. Elle participe et assiste à de nombreux congrès dans toute l’Europe, au Mexique, en Israël (invitée par Ruben Gilead), et même en URSS où elle s’intéresse aux travaux d’Alexandre Luria. Car Gisela garde toujours le même intérêt pour les domaines scientifiques et philosophiques dont elle nourrit sa propre élaboration théorique dans le champ de sa pratique psychanalytique.
Elle retournera aussi en Allemagne, régulièrement, à Bonn, où elle animera un séminaire pendant une dizaine d’années (1960-1970).
Gisela était une lectrice passionnée, et, bien souvent, indiquait à ses élèves des ouvrages littéraires (ou même des films) qu’il fallait lire. Elle lisait de préférence dans la langue de l’auteur, ce dont témoignait sa bibliothèque personnelle.
Et très vite elle a publié des articles d’analyses littéraires (ou filmographiques), la plupart dans le revue Esprit, sous l’angle de vue qui était le sien, à partir de l’image du corps, de l’espace, et du temps.
Mais ce n’est pas de la « théorie psychanalytique appliquée » : c’est toujours l’interprétation de ce que peut révéler un texte, pris comme une clinique, sur la nature du fonctionnement psychique humain.
(texte de M.L.Lacas, repris et corrigé de la « notice biographique » publiée par les éditions Campagne-Première dans « Les Dangers du On-dit », Paris 2006)